Il peut arriver qu'un fan nous interpelle à propos d'un obscur groupe inconnu sur le forum, et je m'étais dit que tous les prétextes sont bons pour jeter une oreille curieuse dans un champ, ceci est mon hommage à David Lynch, tant qu'on y est.
Ce trio nous vient de Suisse, Fribourg plus précisément, d'où Stavros Dzodzos, Marco Mottolini et Maxime Cosandey sont originaires. C'est en pleine adolescence qu'ils ont démarré Dirty Sound Magnet, partageant la même passion pour le rock psychédélique, et des groupes comme
Led Zeppelin. Ils ont été rejoints par Didier Coenegracht (chant, claviers) et ont enregistré leurs deux premiers albums "What Lies Behind' in 2012 and 'The Bloop' in 2014. Revenus en trio sans Didier en 2015, ils ont sorti plusieurs albums studio, "Western Lights" en 2017, "
Transgenic" en 2019, et "
DSM-III" en 2022, et un live enregistré dans leur salle de répétition pendant la pandémie, "Live Alert".
Les premières secondes que j'ai entendues de Dirty Sound Magnet m'ont fait l'effet d'un bonbon d'une douceur écoeurante, qu'on aurait le réflexe de recracher tellement il libère de sensations. Il faut dire que le timbre du guitariste chanteur Stavros ressemble fort à celui de Philippe Catherine, mais supportable, tout en étant presque aussi ouvertement déjanté, perché et jouisseur. J'aime bien les trucs un peu bizarres, mais là c'était beaucoup d'un coup et j'ai bien failli appuyer sur Stop, définitivement. Mais j'ai laissé tourner, bien heureux de le faire. Parfois, j'aime bien prendre un artiste au mot, et suivre sa proposition jusque dans ma chronique. Vous vouler la jouer à l'impro ? Ok, on y va !
L'album porte bien son nom, car Dirty Sound Magnet y créé un monde délirant qui a largué les amarres pour toujours, et en rigole à gorge déployée ("Utopia"). Au second, troisième ou quinzième degré, les textes et la musique doucement déjantée des trois petits suisses garde cependant un sens de la lucidité ("
Lost My Mind "): elle ne fait jamais n'importe quoi malgré les apparences. Dirty Sound Magnet semble en roue libre, capable de glisser à tout moment là où on ne l'attend pas, comme sur "The Tragedy of Men" qui nous téléporte au fin fond de l'Inde, émerveillé.
L'influence la plus évidente sur laquelle j'aurais parié est celle du
Pink Floyd des débuts. Celui qui a mené Syd Barret à rester percher pour l'éternité dans le chaos qui a été laissé par des petits carrés de LSD ? L'expérience est le leitmotiv, en laissant la musique et les rêveries prendre le pouvoir, dans une utopie doucereuse.
De
Led Zeppelin, il a omis la lourdeur, et gardé cette obsession de l'expérimentation, ce désir de jouer sans s'arrêter pour voir ce qui va sortir, les oreilles grandes ouvertes à la recherche minutieuse du son qui n'a jamais été écouté par personne sur la terre.
Des Doors, il a inversé la polarité ténébreuse et désespérée pour rêver à tout prix, dans un éclat de rire humide et naïf sur les plages des Beach Boys. Merde,
Brian Wilson lui aussi avait fini détraqué, enfoncé jusqu'au cou dans les sables mouvants de la dépression et de la paranoïa.
L'étrange est chevillé au corps de la guitare, aux élucubrations psychédéliques illuminées rappelant la facette la plus dévergondée du Zeppelin.
Les guitares claires ou légèrement crunch ont un son chevrottant rappelant les sixties, des dosages de nombreux effets modulent le signal sortant d'un rack de pédales pléthorique qui doit permettre toutes les folies. Cette guitare peut tout à coup ne plus en être une, et être un synthétiseur vivant, un vrombissement, un souffle d'air parfumé.
Des choeurs célestes carrément kitch se moquent de notre petite réalité, futile et sérieuse, enjoignant les petits Ulysse que nous sommes à marcher vers elles en laissant derrière soi toute raison ("Lonely Bird", une ballade aux pétales hallucinogènes).
Comme dans un rêve où le temps ne s'écoule pas normalement, compressé et dilaté, la fin arrive au moment où on s'y attend le moins. Lorsque les huit minutes vingt de la dernière plage de palmiers champignons, "Insomnia", laissent place au silence, je me suis dit "Déjà ?!". Je regarde l'heure, et effectivement l'album est déjà, oui déjà terminé, et il s'est vraiment écoulé trente sept minutes.
A la différence des artistes cités plus haut, au milieu de cette chronique, Dirty Sound Magnet ne semble avoir aucune ambition dans sa musique, ni le sens de la démesure perfectionniste qui animait les monstres sacrés des sixties et seventies. Ces rêves de paix et de félicité, ça n'arrivera jamais, mais c'est pas grave, semble dire Stavros Dodzos. Mais on peut toujours rêver...
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