Cover to Cover

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15/20
Nom du groupe Jeff Healey
Nom de l'album Cover to Cover
Type Album
Date de parution 1995
Labels Arista
Style MusicalBlues Rock
Membres possèdant cet album20

Tracklist

1. Shapes of Things
2. Freedom
3. Yer Blues
4. Stop Breakin' Down
5. Angel
6. Evil
7. Stuck in the Middle with You
8. I Got a Line on You
9. Run Through the Jungle
10. As the Years Go Passing By
11. I'm Ready
12. Badge
13. Communication Breakdown
14. Me and My Crazy Self

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Jeff Healey


Chronique @ ZazPanzer

22 Juin 2012

Road House Blues....

La vie est trop souvent cruelle et dégueulasse. C'est incontestable, quelqu'un là haut s'acharne sur nous en manipulant les fils des pantins désarticulés et impuissants que nous sommes; et nous subissons ses caprices sadiques en encaissant, du mieux que nous pouvons. Oui, chacun, tôt ou tard, affronte sa dose de malheur profond et de solitude implacable, d'espoirs brisés, de deuils inattendus, ou de déprime inexplicable...

A Toronto, le 25 mars 1966, dix ans précisément avant moi d'ailleurs, Jeff voit le jour pour se confronter bien trop tôt à cette réalité abjecte. Sa mère l'abandonne à la naissance. Jeff est adopté, mais son père apprend quelques mois plus tard que le fiston a hérité génétiquement d'un rétinoblastome. Jeff est atteint d'un cancer de la rétine, ses yeux doivent lui être enlevés. Il fêtera son premier anniversaire aveugle.

Condamné avant d'avoir vécu. Frappé si violemment par le Destin... Comment grandir épargné par la rancœur, l'amertume, la colère et la frustration ? C'est pourtant de l'Amour que Jeff cultive pendant son enfance et son adolescence. L'Amour de la Musique. Privé de la vue, Jeff devient rapidement un mélomane averti, passionné de Blues et de Jazz. Ce sens qu'il donne à sa vie se traduit de deux façons : il commence à collectionner les disques, particulièrement les 78 Tours de Jazz antérieurs à 1942 (il en réunira plus de 30 000 !); et à l'âge de trois ans s'empare pour la première fois d'une guitare qu'il ne lâchera plus, apprivoisant l'instrument en autodidacte de façon unique, la guitare posée à plat sur ses cuisses.

Début 1985, sa première passion lui permet d'obtenir un créneau sur la radio du campus de l'Université de Toronto, CIUT-FM. Jeff y anime avec ferveur un show durant lequel il diffuse et commente son incroyable collection de 78 Tours. Il est rapidement connu en ville de tous les amateurs de Musique, et donc des musiciens. C'est ainsi que lui sont présentés Joe Rockman, bassiste de session professionnel, et Tom Stephen, urbaniste de profession, mais également batteur. Jeff quitte son premier groupe (Blue Direction) pour former avec eux The Jeff Healey Band à la fin de cette même année 1985. Le trio commence immédiatement à écumer les bars de la Ville Reine dans lesquels ils balancent tous les soirs un Blues Rock de haute volée. Le jeu singulier de Jeff alimente quelques années le bouche à oreille, amenant un beau soir Stevie Ray Vaughan himself à se déplacer pour assister à un concert des canadiens au Albert's Hall club. Il était l'étincelle qui manquait pour mettre le feu aux poudres de la success-story : Stevie les recommande à Arista Records en 1988, et "Angel Eyes", second single du Jeff Healey Band, atteindra la 5ème place du Billboard US peu de temps après, en Juin 1989.

C'est l'année suivante, en 1990, que j'ai pour ma part repéré Jeff. Au fond du Double Deuce. Un bar miteux et mal famé de la ville de Jasper, dans le Missouri. Si vous étiez ado au début des 90s, et que je vous aide un peu en vous rappelant que le patron du Double Deuce, bien décidé à donner un nouveau souffle à son établissement, alors point de chute de tous les trafiquants et emmerdeurs du coin, fait appel à Dalton Turner (alias Patrick Swayze), videur de night-club physionomiste mais également philosophe mystique (si, si !) pour en faire fuir la racaille, vous aurez forcément reconnu "Road House", une série B manifestement navrante qui était alors un de mes films préférés avec "Top Gun", "Retour Vers Le Futur", et "L'Arme Fatale" [soupir]... Il est difficile du haut de 14 printemps de se concentrer dans "Road House", de jolies poitrines apparaissant à l'écran toutes les trois minutes pour un oui ou un non, mais quelque chose (d'autre) m'intriguait... Putain, ce mec qui joue de la gratte derrière un grillage le protégeant des canettes et des divers projectiles balancés par les poivrots, il fait comment avec la guitare sur les cuisses ? Fabuleux ! Et pourquoi ferme-t-il les yeux ? Il est aveugle ? Une paire de seins plus tard, mes pensées s'orientaient de nouveau vers la date hypothétique de mon dépucelage, mais quelque part dans les casiers bien rangés de ma tête, probablement entre la vision d'un string et le premier Skid Row, les images de ce guitariste atypique étaient fixées pour de bon. Jeff Healey...

Et quelques années se sont écoulées...

1995. Une nuit dans mon lit à écouter dans le noir notre parrain à tous, Tonton Zégut. Pour la sortie de "Cover to Cover", Francis en choisit un extrait. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces, chacun le sait, Zézé a donc sélectionné le meilleur morceau de l'album, "As The Years Go Passing By"... Un classique des années 50 dont on a oublié l'auteur, mais qui a été repris par tous les patrons, Albert King, John Lee Hooker, Santana, Gary Moore et j'en passe. Frissons sous la couette, je monte le son.

Dès le lendemain, au saut du lit, je sèche mon cour de fac pour passer à la Fnac, où je tombe sur un exemplaire tout frais du "Cover to Cover". Une centaine de francs en moins et des étoiles dans les yeux, je file à l'université retrouver ma chérie qui m'attend au coin fumeur. Elle sourit en me faisant signe. Je m'approche.

Elle a écouté la radio hier. Elle a entendu un morceau hallucinant, et a été acheter le cd ce matin avant de venir en cours...

Il y a quelques moments de grâce dans l'existence malgré tout.

Nous avons décellophanéisé nos exemplaires dans son studio, décortiqué nos livrets. La voisine du dessous, malgré plusieurs tentatives de corruption sous forme de chocolats Leonidas après des soirées qui dérapaient, nous balançant immanquablement au propriétaire, nous avons monté le son. Quitte à se faire virer, autant aller jusqu'au bout.

"Cover to Cover" est comme son nom l'indique un album de reprises. Des bluesmen mythiques Robert Johnson (Stop Breaking Down) et Willie Dixon (Evil, I'm Ready) aux origines du Rock avec les Beatles (Yer Blues), les Yardbirds (Shapes Of Things) ou Cream (Badge) en passant par les incontournables Hendrix (Angel, Freedom), Led Zeppelin (Communication Breakdown) ou Creedence Clearwater Revival (Run Through The Jungle), le programme pourrait paraître quelconque et inintéressant à certains; ils auraient tort. A moins que, comme Jeff, vous soyez féru de Delta et de Chicago Blues et que vous connaissiez sur le bout des tympans les morceaux qui ont contribué à faire de la Musique ce qu'elle est aujourd'hui, vous prendrez du plaisir à les découvrir, ce qui a été mon cas pour plusieurs d'entre eux.

Je serai ensuite un poil (trop ?) sévère... Excellent chanteur et guitariste hors pair au jeu inimitable, notamment dans sa façon de faire des bends et des hammers, Healey n'est pourtant pas exempt de tout reproche dans les deux autres disques de ma collection, "See the Light" et surtout "Hell to Pay", un peu trop clinique. Les morceaux du Jeff Healey Band sont, sur ce second opus, sympathiques, agréables en fond sonore, mais, avouons-le, parfois "passe-partout", trop souvent sauvés par des soli et des chorus de guitare toujours à tomber par terre. Jeff, pour résumer, se démarque à mon avis beaucoup plus dans l'interprétation et l'exécution que dans la composition. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les reprises présentes sur ces albums, "While My Guitar Gently Weeps" (fabuleuse) et "Blue Jean Blues" sont certainement les plus populaires avec le tube "Angel Eyes". Un disque entièrement consacré à cet exercice pourtant généralement périlleux serait donc particulièrement dans les cordes du torontois... Qu'en est-il ?

Ce "Cover to Cover", truffé de standards dont les qualités ne sont plus à démontrer, met particulièrement en avant les qualités de musicien brillantissime du kid de Toronto, en accentuant le côté Blues et Rock d'un Jeff Healey Band recentré sur ses origines, ayant gommé cette touche "radio US" parfois un peu agaçante sur "Hell to Pay". La production de Thom Panunzio (John Lennon, Bruce Springsteen, mais également Deep Purple, Ozzy ou Motörhead) est parfaite, à la fois moderne et brute dans son approche, plus directe que sur l'opus précédent.

Si j'ai du mal à trouver un intérêt à certaines reprises, trop entendues comme celles d'Hendrix, ou quasiment dispensables à l'instar des interprétations instrumentales de "Shapes Of Things" et de "Communication Breakdown", on se rapproche de l'excellence avec "Badge" et "As The Years Go Passing By" qui ridiculise presque la version de Gary Moore sur "Still Got The Blues" (il fallait le faire). Tous les autres morceaux sont de grande qualité, notamment la reprise énervée de Spirit, "I Got a Line On You", et l'improbable "Stuck In The Middle With You" du groupe écossais Stealers Wheel qui connut son heure de gloire en 1973, et que Tarantino avait déjà ressorti des oubliettes dans "Reservoir Dogs" en 1992. On appréciera également comme il se doit la version poisseuse de "Yer Blues", toutefois moins violente que l'originale -difficile de rivaliser avec la rage de John et la lourdeur de la ligne de basse de Paul-, et celle, dépouillée, de "Me And My Crazy Self" de Lonnie Johnson.

Au final, "Cover to Cover" est un album que j'ai beaucoup écouté, pas indispensable certes, mais constituant une relecture épanouissante de classiques pourtant souvent oubliés. J'aime notamment écouter Jeff Healey en pensant à son parcours de vie qui force le respect. Né différent, ayant tiré toutes les mauvaises cartes, et pourtant rayonnant comme ses soli de guitare, à l'image de la photo illustrant la back-cover du disque, où les musiciens sont attablés avec leurs gosses. J'aime à penser que la Musique est salvatrice, et qu'elle permet d'illuminer au moins brièvement une partie de nos journées parfois bien trop sombres.

Le cancer rattrape Jeff le 2 mars 2008 à l'âge de 41 ans. J'irai un de ces jours à Toronto boire une bière à sa santé. Le club dans lequel il jouait du Rock le jeudi soir et du Jazz le dimanche après-midi, au 56 Blue Jays Way, a été rebaptisé pour lui rendre hommage "Jeff Healey's Roadhouse".

15 Commentaires

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MattMaiden - 26 Juin 2012: Eclectic : oui je sais j'ai un humour parfois pathétique :) Saturnine, je ne savais pas pour l'anecdote avec Gillan : merci de l'info ! Belle preuve d'amitié de sa part !
 
cazmacaz - 27 Juin 2012: J'avais vu le film et j'avais toujours été intrigué par ce guitariste aveugle. Avec ta chronique j'en sais un peu plus. En te remerciant donc. En tout cas le Double deuce ça devait valoir la peine de s'y arrêter.
Elevator - 01 Juillet 2012: Merci Zaz !
Je ne connais pas bien la musique de ce guitariste, il faudra que je m'y mette un de ces jours.
ebony - 04 Septembre 2013: Merci pour cette chronique parfaite! Nostalgie avec beaucoup d'émotions au souvenir du film "road house" et de cet immense guitariste, qui avait confirmé l'achat de l'album a l'époque et écouté récemment suite a mes ajouts cds sur Sor! Encore bravo!
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